“Quel est votre film préféré?” m’a t on demandé lors d’une interview récente. Parmi ceux qui me venaient spontanément en tête beaucoup étaient de Claude Lelouch. Depuis Attention Bandits, mon premier Lelouch, à Un + Une vu récemment, ses films ont ponctué ma vie… et certains l’ont marquée à jamais : Itinéraire d’un enfant gâté, Partir Revenir, La belle histoire (inoubliable projection sur écran géant du Palais des Congrès) ou les Misérables. Pour me rapprocher de son univers, j’ai même poussé le plaisir à m’offrir un week-end dans Les Manoirs de Tourgeville, l’hôtel normand construit par Lelouch pour un film, où nous avions dîné avec la musique de Francis Lai en ambiance de fond… immersion totale !
Alors bien sur, Claude Lelouch était sur ma liste… Vous savez la liste des « gens célèbres que tu aimerais le plus rencontrer ? » 🙂 et quand la possibilité de le voir dans le cadre de Focus on French Cinema présentée par l’Alliance Française de Greenwich s’est offerte, cela m’a rapprochée de ce rêve ! Ce 28 mars, j’ai assisté à la projection au FIAF NY d’un Homme et une femme, pour les 50 ans de ce film mythique, précédé d’un extrait du reportage Tourner pour Vivre de Philippe Azoulay et suivi d’une interview avec les deux réalisateurs, que je partage avec vous ci-dessous.
Beaucoup de choses me touchent chez Lelouch : son amour de la vie et sa recherche de la spontanéité à travers ses films pour capter « des moments de vérité ». Il est bienveillant envers ses acteurs dont il dit qu’ils « sont ses amis où pourront le devenir ». Il les dirige en leur laissant la liberté d’improviser, il aime les surprendre. Ses acteurs ont des personnalités fortes et il n’hésite pas à les mettre dans des rôles à contre emploi. Il est fidèle à ses acteurs fétiches même quand leur carrière n’est plus nécessairement au sommet comme la touchante Annie Girardot dans les Misérables à qui il offre l’un de ses meilleurs rôles à l’aube de sa carrière. Il semble que cet amour, les acteurs le lui rendent bien.
J’ai également souvent eu l’occasion de constater que la vie est comme un film de Lelouch… Lorsque la vie nous amène à rencontrer des gens avec qui nous vivions en parallèle auparavant, ou lorsque l’on a l’impression de reconnaître quelqu’un, car comme lui j’aime à croire que nous avons plusieurs vies et que nous pouvons retrouver nos âmes sœurs à travers le temps.
Alors oui, tous ses films ne se valent pas… et il est le premier à le reconnaître. Car Claude Lelouch est très lucide sur son œuvre, ses films clés, ses échecs artistiques ou commerciaux. Il est indéniablement l’un des réalisateurs à « signature » avec cette ambiance qu’il a su créer : la musique de Francis Lai très présente, les scènes de flashback, les scènes imaginaires et les dialogues parfois improvisés. Ses films ont marqué le cinéma français et même au delà.
Monsieur Lelouch, merci pour ces moments d’émotions, et si la vie ressemble parfois à un film de Lelouch (la musique en moins !) c’est bien parce que c’est la vie qui l’inspire pour écrire ses films…
Qu’est ce que cela vous fait de voir ce film, qui a eu tant de récompenses, 50 ans après ?
J’ai passé ma vie à observer le monde et mes films sont le résultat de cette observation. J’ai fait 46 films et 46 fois j’ai essayé d’être d’une lucidité bienveillante car j’aime la vie et j’ai envie de la faire aimer aux autres, donc ce film il s’appelle Un homme et une femme en fait c’est “mon père et ma mère” puisque c’est ma deuxième naissance. C’est grâce à ce film que j’ai pu, pendant plus de 50 ans après, faire les films que j’ai envie de faire. Donc j’aime ce film de plus en plus car il symbolise pour moi la liberté.
Il est intéressant de savoir que vous avez fait Un homme et une femme après cinq échecs. Comment avez vous eu envie de poursuivre ?
Comme je n’avais pas fait de bonnes études puisque j’allais tout le temps au cinéma et que je séchais l’école, je n’ai pas pu rentrer dans les écoles de cinéma, puisqu’il fallait des diplômes que je n’avais pas. Et donc j’ai appris le cinéma tout seul. Je suis un vrai autodidacte et c’est grâce au cinéma d’amateur que j’ai pu apprendre ce métier. J’ai très vite compris que ce métier j’allais l’apprendre dans la souffrance et j’ai très vite compris que la souffrance était la meilleure université du monde. C’est cette souffrance qui fait qu’après cinq échecs j’ai eu la force de faire ce film.
Pouvez-vous nous parler de votre approche pour capter la spontanéité ?
J’aime surprendre les acteurs pour avoir cette sincérité. Par exemple, pour la fin d’Un homme une femme, je n’avais pas dit à Anouk Aimée qu’elle retrouverait Jean-Louis Trintignant. Du coup quand elle l’a vu, elle a vraiment été surprise et j’ai pu capter cette spontanéité.
Truffaut a dit qu’on ne filmait plus une histoire d’amour de la même façon depuis Un homme et une femme. Le fait que vous portiez votre caméra vous même était innovant.
J’ai démarré en amateur et donc je faisais tous les métiers. J’ai rapidement compris que la caméra était l’acteur le plus important donc je la tiens moi même. Cela a inspiré d’autres réalisateurs à faire pareil. Aujourd’hui avec la technologie moderne les cinéastes voient tous ce qui est dans leur caméra et nous sommes d’ailleurs tous devenus cinéastes avec nos téléphones. Je pense que le cinéma peut changer le monde et un jour parmi les 7 milliards de personnes, un cinéaste contribuera à changer le monde.
Pouvez vous nous parler de votre relation avec la musique ?
La musique c’est dieu. Elle parle à notre inconscient. Le scénario parle à notre intelligence mais elle est trop limitée, trop pragmatique. Notre part d’irrationnel sait que la vie est éternelle et je suis convaincu que chaque vie nous prépare à celle d’après. Dans un Homme et une femme, la musique parle à notre inconscient et transforme une histoire de deuil en histoire optimiste. C’est pour cela que les comédies musicales sont l’aristocratie du cinéma. Par exemple, Chantons sous la pluie, c’est le film parfait car il parle au cœur. Regardez la tête des gens à un concert et comparez les mêmes personnes à un discours politique. Aujourd’hui on a besoin d’irrationnel puisque notre intelligence n’a résolu aucun problème.

Tom Hanks a dit que le monde était meilleur quand Spielberg tournait. Philippe Azoulay, Pensez vous que le monde est meilleur quand Lelouch tourne ?
PA : Pour Lelouch, il n’y a pas de vie sans tournage !
CL : Mon problème c’est que j’aime tout : le sucré, le salé, la mer, la montagne, les gens intelligents, les autres me font rire et c’est cet amour de la vie que je mets dans mes films pour donner de l’espoir. La vie est pleine de défauts et c’est ce qui la rend photogénique. On est dans un monde de paradoxes et moi j’ai envie de vous faire aimer la vie. Dans le monde actuel, le négatif est plus fort que le positif et il faut changer cela. On est au paradis mais on ne sait pas s’en servir.
Quel est votre meilleur film ? Le prochain ?
Oui bien sur ! Les plus belles années c’est celles qu’on n’a pas encore vécues. La seule chose que l’on possède c’est le présent. Quand je fais un film je suis dans le présent, ma caméra ne peut capter que le présent. Le passé ne peut plus rien faire et le futur fait peur. Le cinéma fait l’apologie du présent et mes films parlent de ça. Ce soir je suis un homme heureux, je prends du plaisir alors qu’il y a une heure j’étais dans l’angoisse de savoir si vous alliez aimer le film !

Pour suivre et plus d’info sur:
Focus on French Cinema: site, FB
FFC est un festival international de cinéma indépendant, présentant une sélection variée du meilleur du cinéma contemporain francophone actuel. Le festival est présenté par l’Alliance Française de Greenwich